Exposition numérique

Toute une vie surréaliste

André Breton & Benjamin Péret

1920–1959

André Breton, Le Cœur dans la flèche, 1959, haut relief sur liège, 42,5 x 22 cm © succession André Breton, ADAGP, courtesy Association Atelier André Breton

Exposition numérique

Les sinistres glapissements tricolores crevaient comme des poissons en sueur
dans les cimetières qu’un certain Poincaré
un sourire de cigare aux lèvres de marécage
inaugurait les mains battantes comme des portes au souffle d’érable qui l’animait
et déjà la voix d’un cheveu blond emporté par le vent qui s’élève des tikis
t’avait fait traverser d’un seul élan les rues en danse de Saint-Guy
où Vaché allait disparaître comme une giboulée dans un salon
Rien n’était dit des mots qui tuent les bêtes malfaisantes
aucun son brisant les verrous n’avait été proféré
dans l’air alourdi par la poussière d’épaulette
ou gluant des brouillards familiaux empestant l’encens
Rien qu’une avalanche de rires dévalant des montagnes phtisiques et bien peignées
qui fauchait au passage les flocons vénérables pleins des liqueurs du dimanche
La table dressée avec art était envahie par le jardin zoologique
Le héron picorait dans l’oreille du grand-père étouffant de rage
sous la devanture de son plastron qu’escaladaient de grosses mouches bleues
et la jeune fille de la maison se laissait peloter par un maki
qui la possédait sous les yeux en cataplasme de sa mère tombant du haut mal
L’art un coup de bouteille de champagne sur la tête
s’écroulait dans une boue de décorations et de barbes arrachées comme des affiches de mobilisation
et expirait avec un crissement de soulier trop neuf écrasant une crotte de pékinois
Soudain un air frais de premier lilas de l’année
balayait les vapeurs écœurantes de l’usine de noir animal
et de tous les taillis le mot liberté s’échappait avec le parfum des aubépines
pendant que les bêtes à tuer du talon
geste de sacré-cœur
regard de portez armes
nez de pensum
face de circulez
sourire de compte en banque
grognement de ministre
demi-cervelle de soumis
courbure de vendu
gueule de faux témoin
rentraient la truffe dans la vase bien-pensante
mijoter dans leurs abris les ragoûts des rancunes nourricières

Mais les uns à commencer par le rat des Carpates
murmuraient liberté en pensant Pour les flics et mon monocle
D’autres comme le croisement du mouchard et viens-tu chéri
ou le petit balai de La Chapelle
prenaient de la graine de poubelle
à éclore en fleurs immondes à exciter les chiens
Lâchez tout disais-tu pour voguer sans nord et sans étoile à travers les tempêtes
vers les grèves tourbillonnantes d’agates et les mines hantées par le regard provocant des opales
Mouillez le temps de pêcher dans l’eau invisible le fantôme d’un nuage
sirène des grands fonds riant comme une forêt
ou aile de feu palpitant évadé d’un tromblon à panache de mariée
Remontez les courants emportant les adieux de l’été
jusqu’aux pudeurs recroquevillées dans l’alcôve des neiges en l’attente du viol qui crée l’alléluia
Lâchez tout Maintenant la proie qui comble et plus tard son ombre
qui se dissout sous les yeux émerveillée de l’aube prochaine galopant à la poursuite d’un désir
qui s’envole en flammes des mains empoignant sa cendre à sécher toutes les taches d’encre du monde
Lâchez tout La poussière du jour déjà hier ne doit pas obscurcir le soleil de demain
Lâchez tout
patries empestant le gendarme
argent à crasse de misère
idées décorées de la médaille de Crimée
Les seuls grands hommes ne naîtront que pour engendrer des fils parricides
et la pourriture des autres ne fera pas croître une ortie à fouetter les prêtres de toutes les religions