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Le merveilleux

Pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que le surréalisme est menacé par sa dispersion et par le succès commercial, dont la figure la plus visible est Dalí, la parole de Péret appelant au merveilleux, au mythe et au pouvoir indomptable de la poésie, recèle un antidote contre toutes les forces qui travaillent au désenchantement définitif du monde et à son appauvrissement spirituel.

« N’importe quel merveilleux est beau » a écrit Breton dans le Manifeste du surréalisme. Il explose dans les contes prétendument pour enfants comme Peau d’âne, le personnage d’Alice de Lewis Carroll ou dans Le Moine de Lewis. Mais à la suite des ravages de la raison instrumentale à l’encontre de l’humanité et de la nature, le merveilleux tend à déserter le monde occidental. A-t-il totalement disparu ? Il convient peut-être de le chercher ailleurs et, par exemple, dans les Amériques, vers ce qu’on nommait le « Nouveau Monde ».

Après André Breton et Pierre Mabille, Benjamin Péret entame à partir de 1942 une quête du merveilleux en engageant un vaste inventaire des mythes et légendes d’Amérique, non pas dans une perspective strictement anthropologique, mais avec le secret espoir que la fermentation poétique propre aux mythes régénère la civilisation humaine pourrie par un capitalisme dévastateur.

Le merveilleux comme moteur universel de l’imaginaire constitue aussi une puissance transformatrice de l’ordre des choses qui s’exerce là où la force des mythes et des légendes demeure encore vivace.

Prendre le parti du merveilleux revient à adopter un point de vue forcément suspect sur le monde tel qu’il est. L’appel d’air du merveilleux s’oppose à toutes les revendications donnant la primauté à l’attitude réaliste qui est la négation même de toute préoccupation poétique.

La Parole est à Péret

Benjamin Péret, La Parole est à Péret, Paris, éditions surréalistes, 1943 © courtesy Association Atelier André Breton
Benjamin Péret, La Parole est à Péret, Paris, éditions surréalistes, 1943 © courtesy Association Atelier André Breton

L’importance du texte ci-après – destiné en traduction anglaise à introduire un recueil de mythes, légendes et contes populaires d’Amérique – a paru aux amis de l’auteur assez grande pour justifier par leurs soins sa publication isolée et anticipée dans la langue originale. Pénétrés de sa rigueur et de son ardeur, dont le jeu combiné l’apparente à un très petit nombre d’œuvres théoriques les plus agissantes et lui prête une résonance presque unique dans les temps que nous traversons, ils déclarent faire leurs toutes les conclusions. En hommage, ici, à Benjamin Péret, ils croient pouvoir joindre à leurs noms ceux d’absents dont l’attitude antérieure implique la même solidarité actuelle que la leur à l’égard d’un esprit d’une liberté inaltérable, que n’a cessé de cautionner une vie singulièrement pure de concession.


Pour J. B. Brunius, Valentine Penrose, (Angleterre),
René Magritte, Paul Nougé, Raoul Ubac, (Belgique)
Braulio Arenas, Jorge Cáceres (Chili),
Wifredo Lam (Cuba),
Georges Henein (Egypte),
Victor Brauner, Oscar Dominguez, Herold (France),
Pierre Mabille (Haïti),
Aimé Césaire, Suzanne Césaire, René Ménil (Martinique),
Leonora Carrington, Esteban Francés (Mexique)
André Breton, Marcel Duchamp, Charles Duits, Max Ernst, Matta, Yves Tanguy,

New York, le 28 mai 1943.

Introduction à La Parole est à Péret.

Lettre d’André Breton à Benjamin Péret, New York, 26 mai 1943, Fonds André Breton, Chancellerie des universités de Paris - Bibliothèque littéraire Jacques Doucet
Lettre d’André Breton à Benjamin Péret, New York, 26 mai 1943, Fonds André Breton, Chancellerie des universités de Paris - Bibliothèque littéraire Jacques Doucet

André Breton à Benjamin Péret

Mais ta lettre du 20 mai, que je reçois ce matin, fait bien autre chose que m’attrister. Elle me stupéfie. Comment, tu écris un texte de toute importance, cette préface. C’est même la première fois que tu te décides à t’exprimer d’une manière autre que strictement poétique, en dépit de mes instances de 20 ans. Et c’est mieux qu’une réussite : tu donnes du premier coup, comme j’ai eu mainte occasion de le dire et comme chacun en a convenu avec enthousiasme autour de moi, le premier grand texte manifeste de cette époque, ce que nous pouvons appeler entre nous un chef d’œuvre. Je l’ai lu et relu, j’en ai fait aussi plusieurs lectures à haute voix ; j’en parle donc savamment. Et, alors que tu ne me laisses disposer pour les publications que j’entreprends ici que de poèmes auxquels les circonstances ne peuvent prêter qu’un minimum d’audience, c’est à M. D. Macdonald que tu te fies pour le présenter.

André Breton à Benjamin Péret, 26 mai 1943, Correspondance 1920-1959, Paris, Gallimard, 2017.

Benjamin Péret parle de La parole est à Peret, extrait de l’interview de Benjamin Péret avec Gérard Legrand pour son émission « Les Armes parlantes », diffusée par Radio France le 7 décembre 1952

Le Mythe et le merveilleux

Benjamin Péret, Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, Paris, Albin Michel, 1960
Benjamin Péret, Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, Paris, Albin Michel, 1960

À la fin de 1942, l’un et l’autre, dans l’ignorance de leurs activités mutuelles, à un tournant particulièrement difficile, en raison des circonstances, du mouvement surréaliste, écrivent chacun de son côté, des textes très importants dont les idées se recoupent étrangement. Breton, une conférence aux étudiants français de l’Université de Yale, intitulée Situation du surréalisme entre les deux guerres (10 décembre 1942) ; Péret, un texte qui sera publié en 1943 sous le titre La Parole est à Péret et repris plus tard dans l’introduction à l’Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, mais qui fut composé à Mexico en novembre 1942. Une comparaison détaillée, linéaire, entre les deux textes montrerait la part originale de chacun : l’exposé de Breton plus historique, celui de Péret plus « théorique » et général ; phrase de Breton plus enveloppée, plus chaude, style de Péret plus percutant, plus direct. Mais trois idées importantes et nouvelles sont à relever, reflet des préoccupations actuelles du surréalisme, à la lumière des événements :

1) La mention de la phrase prophétique de Breton dans la Lettre aux voyantes (1925) : « Il y a des gens qui prétendent que la guerre leur a appris quelque chose ; ils sont tout de même moins avancés que moi, qui sais ce que me réserve l’année 1939 » ;

2) Le refus de plier la poésie aux impératifs politiques et sociaux (poésie de circonstance, etc.) ;

3) L’urgence de dépouiller l’humanité de ses anciens mythes, religieux ou autres, véritables carcans pour la poésie, qui se doit de créer de nouveaux mythes, à la mesure de la société actuelle.

Ces trois idées essentielles figurent parallèlement dans les deux textes. Laissons-les dialoguer :

Breton : … volonté d’incorporation permanente de l’appareil psychique de l’humour noir qui, à une certaine température, peut seul jouer le rôle de soupape, préparation d’ordre pratique à une intervention sur la vie mythique qui prenne d’abord, sur la plus grande échelle, figure de nettoyage, tels sont ou demeurent bien, à ce jour, les mots d’ordre fondamentaux du surréalisme.

Péret : Dans les mythes et légendes des premiers âges fermentent les dieux qui vont mettre à la poésie la camisole de force des dogmes religieux, car si la poésie croît sur le riche terrain de la magie, les miasmes pestilentiels de la religion s’élevant sur le même terrain l’étiolent et il lui faudra dresser sa cime au-dessus de la couche délétère pour retrouver sa vigueur.

Claude Courtot, « Les grains d’un même épi : André Breton-Benjamin Péret », Cahiers Benjamin Péret, n°2, septembre 2013.

Je pense aux poupées des Indiens Hopi du Nouveau Mexique, dont la tête parfois figure schématiquement un château médiéval. C’est dans ce château que je vais essayer de pénétrer. Il n’a pas de porte et ses murailles ont l’épaisseur de mille siècles. Il n’est pas en ruines comme on serait tente de le croire. […]

Le merveilleux, je le répète, est partout, de tous les temps, de tous les instants. C’est, ce devrait être, la vie elle-même, à condition cependant de ne pas rendre cette vie délibérément sordide comme s’y ingénie cette société avec son école ; sa religion, ses tribunaux, ses guerres, ses occupations et libérations, ses camps de concentration et son horrible misère matérielle et intellectuelle.

Benjamin Péret, Introduction à l’Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, Paris, Albin Michel, 1960.

 

Poupée kachina Hopi, collection André Breton © courtesy Association Atelier André Breton
Poupée kachina Hopi, collection André Breton © courtesy Association Atelier André Breton

De Paris à Saint-Cirq-Lapopie

Cette indépendance, la vraie, celle qui réside même à l’épreuve du succès, va s’affirmer une fois de plus dans l’Almanach surréaliste du demi-siècle qui paraît en mars 1950.

Ni bilan, ni florilège, l’Almanach surréaliste du demi-siècle répond, jusque dans sa structure, à la double nécessité de témoigner selon l’histoire et selon la poésie, ou, comme diraient les sociologues, de se situer à la fois dans la perspective du temps chronologique (ou historique) et dans celle du temps mythologique (ou imaginaire). Le Calendrier tour du monde des Inventions tolérables, d’André Breton et Benjamin Péret qui ouvre la publication, fait ainsi contrepoids au Panorama du demi-siècle qui la clôt. 

Jean-Louis Bédouin, Vingt ans de surréalisme, 1939-1959, Paris, Denoël, 1961.

Benjamin Péret et André Breton rue Fontaine, vers 1958 par Elisa Claro Breton, Archives municipales de Rezé © succession Elisa Claro Breton, courtesy Association Atelier André Breton
Benjamin Péret et André Breton rue Fontaine, vers 1958 par Elisa Claro Breton, Archives municipales de Rezé © succession Elisa Claro Breton, courtesy Association Atelier André Breton

Si le surréalisme était maître de Paris…

Les statues qu’André Breton et Benjamin Péret voudraient voir sur les places et aux carrefours de notre capitale.

Nous avons reçu de MM. André Breton et Benjamin Péret, à propos de notre référendum sur les statues de Paris, le message que voici :

Si nous nous en remettons aux souvenirs de notre enfance, nous estimons en effet que la statue confère à la ville sa physionomie propre, qu’elle sollicite la curiosité et, par-là, constitue un élément initial de culture. Qui est ce personnage à cheval ? Pourquoi cet autre trempe-t-il une plume d’oie dans un encrier ? Pourquoi sont-ils là ? Qu’ont-ils fait pour mériter que leur image soit perpétuée dans le bronze ou la pierre ? Nous pensons aussi que le secret du mystère inhérent aux premiers tableaux de Chirico, qui surclassent à nos yeux toute la peinture moderne, réside dans l’apparition de statues inconnues de nous sur des places désertes où le soleil projette leur ombre. Nous préférerons donc la statue équestre à la statue en pied ou au buste, et nous pensons qu’elle doit reproduire les traits du personnage, son costume et son attitude, à distance, la plus vraisemblable. Dans le cas exceptionnel où la création l’emporte sur le créateur, nous admettons un simple médaillon de l’auteur, la statue proprement dite étant consacrée au héros ou à l’héroïne qu’il a fait naître.

Nous sommes convaincus que vous apprécierez le caractère très modéré de nos suggestions. Nous nous sommes placés sur un plan rigoureusement objectif, faisant abstraction de désirs plus spécifiques dont nous estimons que l’heure de les réaliser, pour proche qu’elle soit, n’est pas encore venue. Nos propositions sont purement transitoires, mais répondent, croyons-nous, à une sensibilité, non seulement nôtre, qui peut en 1951 prétendre à s’imposer.

Une statue n’est plus rien hors du lieu où elle a été érigée. C’est pourquoi nous croyons opportun de vous proposer pour chacune l’emplacement qui nous semble le plus adéquat, en tenant compte uniquement de la vie profonde de Paris.

Statues qui doivent être dressées

  • Alice (au pays des merveilles), avec un médaillon de Lewis Carroll : Place de l’Europe ;
  • Guillaume Apollinaire : Au centre de la nouvelle place (?) dont un angle est constitué par l’intersection des rues Saint-Martin et des Étuves ;
  • Baudelaire : Place de l’Opéra, face au théâtre ;
  • Bosch : À l’angle des boulevards Richard- Lenoir et Voltaire ;
  • F. Fabre : À la place de l’ancienne statue de La Fontaine ;
  • S. Freud : Au centre du parvis de Notre-Dame ;
  • Goethe : Place du Trocadéro, face au musée de l’Homme ;
  • Goya : Jardin des Tuileries, à proximité de l’arc de triomphe du Carrousel ;
  • Hegel : (statue lumineuse) : Place de la Sorbonne ;
  • Manon Lescaut, avec un médaillon représentant l’abbé Prévost : En haut de la rue Royale ;
  • Méliès : Face à la gare Montparnasse ;
  • Meryon : À l’ancien emplacement de la Morgue ;
  • G. de Nerval : À l’angle des rues Réaumur et de Turbigo ;
  • Paracelse : À la place de l’ancienne statue de Chiappe ;
  • Proudhon : Face à l’entrée principale des usines Renault ;
  • Élisée Reclus : Carrefour des Gobelins ;
  • Cardinal de Retz : Au centre des Halles ;
  • Henri Rousseau : À l’angle des avenues du Maine et d’Orléans ;
  • Saint-Just : Sur l’emplacement de l’ancien restaurant Foyot, face au Sénat ;
  • La Sorcière, avec un médaillon représentant Michelet : Place du Palais-Bourbon ;
  • Stendhal : A l’angle des boulevards des Millions et Haussmann ;
  • Swift : Place de la Bourse, face à l’édifice ;
  • Ubu, avec un médaillon représentant A. Jarry : Place du Tertre ;
  • L. de Vinci : Rond-point des Champs-Élysées ;
  • Watteau : Jardin des Tuileries, dans l’axe de la porte donnant sur la place de la Concorde.

Statues emportées par l’occupant qui devraient être rétablies

Docteur Charcot, Chevalier de la Barre (à replacer face à l’entrée principale du Sacré- Cœur), Diderot, Etienne Dolet, Fourier, Victor Hugo, Marat, Jean-Jacques Rousseau, Shakespeare et Villon.

Ne pensez-vous pas que la statue de Lamartine gagnerait à être déposée avec précaution au fond du lac du Bois de Boulogne, de telle sorte qu’elle soit visible lorsqu’on l’assèche ?

André Breton, Benjamin Péret, Le Figaro littéraire, 17 mars 1951.

Benjamin Péret devant l’objet d’Alberto Giacometti La Boule suspendue (1931), Elisa Claro Breton, 1958, Archives municipales de Rezé © succession Elisa Claro Breton, courtesy Association Atelier André Breton
Benjamin Péret devant l’objet d’Alberto Giacometti La Boule suspendue (1931), Elisa Claro Breton, 1958, Archives municipales de Rezé © succession Elisa Claro Breton, courtesy Association Atelier André Breton
Jacques Cordonnier, Les membres du groupe surréaliste au café de la place Blanche, 1953. 1er rang, assis : Man Ray, Maryse Sandoz, Max Ernst, Alberto Giacometti, André Breton, Benjamin Péret, Toyen. 2e rang : Michel Zimbacca, Clovis Trouille, Juan Andralis, Jean-Louis Bédouin,
Jean-Pierre Duprey, Jacqueline Duprey, née Sénart, Gérard Legrand (caché), Nora Mitrani, Simon Hantaï. 3e rang : Suzanne Cordonnier, née Muzard, Julien Gracq, Elisa Claro, José Pierre, Sarah X., Ado Kyrou, Wolfgang Paalen, Wifredo Lam, Bernard Roger © succession Jacques Cordonnier, courtesy Association Atelier André Breton
Jacques Cordonnier, Les membres du groupe surréaliste au café de la place Blanche, 1953. 1er rang, assis : Man Ray, Maryse Sandoz, Max Ernst, Alberto Giacometti, André Breton, Benjamin Péret, Toyen. 2e rang : Michel Zimbacca, Clovis Trouille, Juan Andralis, Jean-Louis Bédouin, Jean-Pierre Duprey, Jacqueline Duprey, née Sénart, Gérard Legrand (caché), Nora Mitrani, Simon Hantaï. 3e rang : Suzanne Cordonnier, née Muzard, Julien Gracq, Elisa Claro, José Pierre, Sarah X., Ado Kyrou, Wolfgang Paalen, Wifredo Lam, Bernard Roger © succession Jacques Cordonnier, courtesy Association Atelier André Breton

Saint-Cirq-Lapopie est un cactus toujours en fleurs…

Saint-Cirq-Lapopie est un cactus toujours en fleurs depuis qu’il a surgi. Le temps n’a pas permis qu’elles ne se ternissent ni se fanent et chacun ne peut que les caresser du regard. Saint-Cirq-Lapopie est un cristal à travers lequel on voit d’autres cristaux qui cachent des visages dont celui du troubadour qui jadis sut – un des premiers – parler de l’amour. Que sa figure grandisse afin que s’efface l’image de ceux qui détruisirent le château qui a dû être couronné de papillons, où le guetteur répondait au chant du pic-vert en suivant le manège du rossignol de muraille s’affairant à alimenter sa nichée ! Le Château n’est plus qu’un squelette fossile dont le cœur durci bat encore de tous les tons de l’arc-en-ciel aux applaudissements des scabieuses et des orchidées sauvages qui sitôt se fatiguent. Mais le Lot est alors descendu d’un étage afin de se donner une chevelure de capillaires, tandis que les corbeaux désemparés sont allés se réfugier dans la falaise à barbe de figuier.

Benjamin Péret, Juillet 1953, sur le Livre d’or de Saint-Cirq-Lapopie.

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Epilogue

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De l’amour fou à l’amour sublime

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