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De l’amour fou à l’amour sublime

Avec la poésie et la liberté, l’amour forme le troisième horizon orientant continûment le sens du surréalisme. Breton le nomme « fou » et Péret « sublime » : l’un comme l’autre en appelle à des expressions extrêmes. Dans la lignée du romantisme du XIXe siècle, l’amour justifie tout à la condition qu’il soit de la plus haute intensité et qu’il génère une implication totale de l’être passionné. La révolution sociale libérant la vie de ce qui la cloisonne peut seule rendre tout à fait réalisable les conditions d’un « nouveau monde amoureux », pour reprendre cette formule au socialiste utopiste Charles Fourier.

Pour l’auteur de L’Amour fou comme pour celui des poèmes de Je sublime et de l’Anthologie de l’amour sublime, cet amour prend pour figure élective la femme inspiratrice, la muse, Mélusine ou Rosa, la dame au gant de Nadja ou celle qui évoque « spontanément, pour Péret, les sentiers d’une forêt verdoyante devant un feu de bois […] ».

Que nous disent aujourd’hui ces caractérisations de l’amour-passion ? Tout autant les préjugés d’une époque qui n’est plus la nôtre que les aspirations à libérer hommes et femmes d’entraves et de tabous amputant l’existence de sa part la plus exaltante.

Papillon surréaliste, feuillet imprimé en décembre 1924 pour le Bureau de recherches surréalistes © courtesy Association Atelier André Breton
Papillon surréaliste, feuillet imprimé en décembre 1924 pour le Bureau de recherches surréalistes © courtesy Association Atelier André Breton

Plus de conscience toujours plus de conscience de l’amour

Toute une vie

L'Amour fou
André Breton, L'Amour fou, Paris, Gallimard, NRF, 1937 © succession André Breton, ADAGP, courtesy Association Atelier André Breton

Éluard a pu écrire : « Pour Benjamin Péret, l’espoir, le bel espoir inattendu, toujours nouveau, l’espoir d’amour est exaucé au moment même où il se révèle. »

Ainsi l’univers poétique de Péret auteur d’une Anthologie de l’amour sublime est-il l’autre côté du miroir que nous tend Breton, auteur de L’Amour fou. Existe-t-il plus beau symbole de l’amitié que cette image de deux hommes que seule sépare l’eau d’un miroir ?

Claude Courtot

André Breton et Jacqueline Lamba rue Fontaine, c. 1939-1940
© Association Atelier André Breton

Le sexe de l’homme et celui de la femme ne sont aimantés vers l’autre que moyennant l’introduction entre eux d’une trame d’incertitudes sans cesse renaissantes, vrai lâcher d’oiseaux mouches qui seraient allés se faire lisser les plumes jusqu’en enfer.

André Breton, L’Amour fou, Paris, Gallimard, NRF, 1937.

Benjamin Péret, Anthologie de l’amour sublime, Paris, Albin Michel, 1956
Benjamin Péret, Anthologie de l’amour sublime, Paris, Albin Michel, 1956

Anthologie de l’amour sublime

Partant des aspirations primordiales les plus puissantes de l’individu, l’amour sublime offre une voie de transmutation aboutissant à l’accord de la chair et de l’esprit, tendant à les fondre en une unité supérieure où l’une ne puisse plus être distinguée de l’autre. Le désir se voit chargé d’opérer cette fusion qui est sa justification dernière. C’est donc le point extrême que l’humanité d’aujourd’hui puisse espérer atteindre. Par suite, l’amour sublime s’oppose à la religion, singulièrement au christianisme. C’est pourquoi le chrétien ne peut que réprouver l’amour sublime appelé à diviniser l’être humain. Par voie de conséquence, cet amour n’apparaît que dans les sociétés où la divinité est opposée à l’homme : le christianisme et l’Islam, encore que, dans ce dernier, le poids de la théologie l’ait, dès sa naissance, empêché de s’intégrer à l’être humain. L’amour sublime représente donc d’abord une révolte de l’individu contre la religion et la société, l’une épaulant l’autre.

[…] La reconnaissance de l’universalité du désir, de sa signification cosmique et de ses manifestations chez l’homme réclame à la fois sa sublimation et celle de l’objet de ce désir. Tandis qu’en dehors de l’amour sublime l’être humain – l’homme surtout – ne s’abandonne guère au désir que dans la mesure où il le ramène à son état le plus primitif, dans l’amour sublime les êtres saisis par son vertige n’aspirent qu’à se laisser emporter le plus loin possible de cet état. Le désir, tout en demeurant lié à la sexualité, se voit alors transfiguré. Il s’incorpore, en vue de son assouvissement, tous les bénéfices que sa sublimation antérieure, même la plus complète, lui avait procurés et qui provoquent sa nouvelle exaltation. Hors de l’amour sublime, la sublimation du désir entraîne en quelque sorte sa désincarnation puisque, pour obtenir satisfaction, il doit perdre de vue l’objet qui l’a suscité. Ainsi se maintient chez l’homme un état de dualité, à la faveur duquel la chair et l’esprit restent opposés. Au contraire, dans l’amour sublime, cette sublimation n’est possible que par le truchement de son objet charnel et tend à rétablir chez l’homme une cohésion inexistante auparavant. Le désir, dans l’amour sublime, loin de perdre de vue l’être de chair qui lui a donné naissance, tend donc, en définitive, à sexualiser l’univers.[…] La reconnaissance de l’universalité du désir, de sa signification cosmique et de ses manifestations chez l’homme réclame à la fois sa sublimation et celle de l’objet de ce désir. Tandis qu’en dehors de l’amour sublime l’être humain – l’homme surtout – ne s’abandonne guère au désir que dans la mesure où il le ramène à son état le plus primitif, dans l’amour sublime les êtres saisis par son vertige n’aspirent qu’à se laisser emporter le plus loin possible de cet état. Le désir, tout en demeurant lié à la sexualité, se voit alors transfiguré. Il s’incorpore, en vue de son assouvissement, tous les bénéfices que sa sublimation antérieure, même la plus complète, lui avait procurés et qui provoquent sa nouvelle exaltation. Hors de l’amour sublime, la sublimation du désir entraîne en quelque sorte sa désincarnation puisque, pour obtenir satisfaction, il doit perdre de vue l’objet qui l’a suscité. Ainsi se maintient chez l’homme un état de dualité, à la faveur duquel la chair et l’esprit restent opposés. Au contraire, dans l’amour sublime, cette sublimation n’est possible que par le truchement de son objet charnel et tend à rétablir chez l’homme une cohésion inexistante auparavant. Le désir, dans l’amour sublime, loin de perdre de vue l’être de chair qui lui a donné naissance, tend donc, en définitive, à sexualiser l’univers.

Benjamin Péret, « Le noyau de la comète », préface à l’Anthologie de l’amour sublime, Albin Michel, 1956.

André Breton, « L’Amour sublime est-il unique ? », coupure de presse du texte à propos de L'Anthologie de l'amour sublime de Benjamin Péret, Arts, 2 janvier 1957, Collections Benjamin Péret, Ville de Nantes, Bibliothèque municipale
André Breton, « L’Amour sublime est-il unique ? », coupure de presse du texte à propos de L'Anthologie de l'amour sublime de Benjamin Péret, Arts, 2 janvier 1957, Collections Benjamin Péret, Ville de Nantes, Bibliothèque municipale
André Breton, « L’Amour sublime est-il unique ? », manuscrit autographe à propos de L'Anthologie de l'amour sublime de Benjamin Péret, Collections Benjamin Péret, Ville de Nantes, Bibliothèque municipale
André Breton, « L’Amour sublime est-il unique ? », manuscrit autographe à propos de L'Anthologie de l'amour sublime de Benjamin Péret, Collections Benjamin Péret, Ville de Nantes, Bibliothèque municipale

L’amour dissipe sans cesse la nappe de gaz acharnés à sa perte

Toute une vie

Remedios Varo, Personnage au Ying et Yang, sans date, gouache sur ivoire, 11 x 5,5 cm © succession Remedios Varo, ADAGP, courtesy Association Atelier André Breton
Remedios Varo, Personnage au Ying et Yang, sans date, gouache sur ivoire, 11 x 5,5 cm © succession Remedios Varo, ADAGP, courtesy Association Atelier André Breton
Benjamin Péret et Remedios Varo à Marseille, 1941
Benjamin Péret et Remedios Varo à Marseille, 1941

Issue d’un des plus grands mirages qui auront marqué notre vie, se soldât-il par un désastre – la guerre d’Espagne – je suis placé pour revoir auprès de Benjamin Péret retour de Barcelone, Remedios qu’il en ramène. La féminité même, ici en hiéroglyphe le jeu et le feu dans l’œil de l’oiseau, celle que je tiens (il faut voir contre quels vents et marées) pour la femme de sa vie. L’œuvre de Remedios s’est accomplie au Mexique, en grande partie après leur séparation, mais le surréalisme la revendique tout entière. De son dernier tableau, peint en 1963 peu avant sa mort et reproduit ci-après, son très digne et dernier compagnon Walter Gruen a recueilli de sa bouche le commentaire : « Le mouvement part d’en bas, de la nappe, pour se communiquer au reste. Quelques fruits, sortis de leurs orbites, se heurtent entre eux mais déjà de leurs semences naissent de nouvelles pousses. » La toile s’intitule « Nature morte ressuscitant », ce qui se passe de commentaire et pour nous, quant à elle aussi, veut tout dire. A.B.

André Breton, La Brèche, n° 7, décembre 1964.

« Allô » extrait de Je sublime lu par Pierre Brasseur

André Breton et Elisa Claro Breton dans une forêt, vers 1950 © courtesy Association Atelier André Breton
André Breton et Elisa Claro Breton dans une forêt, vers 1950 © courtesy Association Atelier André Breton

ANDRÉ BRETON

(18 février 1896)

Je suis, à coup sûr, moins qualifié que quiconque pour parler d’André Breton parce que je ne pourrai jamais disposer du recul nécessaire pour apprécier une œuvre et surtout une vie qui m’est si amicalement proche depuis près de quarante ans. Il n’en est pas moins certain que nul n’a su comme lui, dégager l’amour sublime des ronces qui le dissimulaient et lui restituer un éclat d’autant plus vif qu’il le soumet à l’éclairage d’une lucidité exceptionnelle. De Nadja à Arcane 17, il ne cesse de s’insurger contre l’état des rapports entre l’homme et la femme dans les conditions sociales d’aujourd’hui. À juste titre, il découvre le principal obstacle au triomphe de l’amour sublime dans les restrictions apportées aux possibilités de choix d’un objet d’amour par le cloisonnement auquel les hommes sont soumis. C’est sa révolte initiale qui lui a permis de poursuivre une quête qui, d’espoir en désespoir, l’a conduit à la passion partagée, à « posséder la vérité dans une âme et un corps ».

Benjamin Péret, « André Breton (18 février 1896) », Anthologie de l’amour sublime, Paris, Albin Michel, 1956.

Mélusine après le cri...

Collectif, cadavre exquis à l'encre et crayons de couleur sur papier réalisé à Marseille en 1940 © courtesy Association Atelier André Breton
Collectif, cadavre exquis à l'encre et crayons de couleur sur papier réalisé à Marseille en 1940 © courtesy Association Atelier André Breton

Mélusine après le cri, Mélusine au-dessous du buste, je vois miroiter ses écailles dans le ciel d’automne. Sa torsade éblouissante enserre maintenant par trois fois une colline boisée qui ondule par vagues selon une partition dont tous les accords se règlent et se répercutent sur ceux de la capucine en fleur. Des coupes auraient été pratiquées pour livrer ces pentes au ski, c’est du moins tout ce que veut retenir l’interprétation profane mais il faudrait admettre alors que bien avant la neige leurs courbes se lustrent du plus beau givre, le givre bleu qui, lorsqu’on prend soin d’errer en évitant tous les chemins battus ou même ébauchés – et ce doit être la seule règle de l’art – vient imposer, tout en brillants, ses palmes de désespoir du peintre aux fenêtres mentales. Mélusine, c’est bien sa queue merveilleuse, dramatique se perdant entre les sapins dans le petit lac qui par-là prend la couleur et l’effilé d’un sabre. Oui, c’est toujours la femme perdue, celle qui chante dans l’imagination de l’homme mais au bout de quelles épreuves pour elle, pour lui, ce doit être aussi la femme retrouvée. Et tout d’abord il faut que la femme se retrouve elle-même, qu’elle apprenne à se reconnaître à travers ces enfers auxquels la voue sans son secours plus que problématique la vue que l’homme, en général, porte sur elle. Que de fois, au cours de cette guerre et déjà de la précédente, n’ai-je pas attendu que retentît le cri enfoui depuis neuf siècles sous les ruines du château de Lusignan ! La femme est, après tout, la grande victime de ces entreprises militaires. Je n’oublierai jamais les bras de la femme, certains soirs de Paris, à la gare de l’Est, l’admirable, la bouleversante figure qu’ils composaient.

André Breton, Arcane 17, New York, Brentanos, 1944.

Collage d’une photographie de Remedios Varo avec le visage de Péret, vers 1940
Collage d’une photographie de Remedios Varo avec le visage de Péret, vers 1940

mélusine

Par les midis torrides, tu me verras surgir – non, prudence ! – tu me devineras dans les profondeurs de la source, à moins que je ne risque un œil sous le radeau d’une feuille de nénuphar vêtant une eau léthargique. Je suis de tous les pays. Ici, j’ai un teint de nuit africaine et l’on m’honore, de l’autre côté de l’océan, un rameau de fleurs à la main. Là, au fond des rivières inconnues, je chante autant pour séduire le voyageur nocturne qui m’aperçoit dans les taches que la lune dessine sur l’eau sombre. Malheur à toi, si tu oses contempler mon visage lumineux ! Ébloui, te voilà nageant dans mon sillage, la main tendue vers mon immense chevelure couleur d’avenir et je t’entraîne. Je suis partout où l’eau peut me dissimuler. Je suis la vie de l’eau, je suis Mélusine, souveraine incontestée et mère de l’eau, sa cause et son effet, son cri et son silence feutré ; là je prends forme, je deviens femme éternellement.

Benjamin Péret, « Mélusine », exposition Toyen, Galerie Furstenberg, 30 avril – 17 mai 1958.

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Le merveilleux

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Transformer le monde, changer la vie

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